VduV #17: La minéralité du vin existe-t-elle

À l’occasion de ce 17e Vendredi du Vin, le président Mathieu Turbide du blog Méchant raisin nous a invité à aller à la recherche d’une caractéristique nébuleuse du vin : la minéralité. Que signifie en effet cet adjectif? Comme le soulève Mathieu Turbide, s’agit-il d’une impression tactile ou d’un arôme? Qu’est-ce donc qu’un vin minéral? Je lève mon verre à Mathieu, car il s’agit d’une question fort intéressante.

 

Pour y répondre, je m’attaque d’abord à la théorie. Selon l’encyclopédie Larousse des Vins, la minéralité fait partie des arômes du vin. Il s’agit alors d’arômes de craie, de sol volcanique, de terre, d’huile, d’essence ou de pétrole. Bref, selon le Larousse la catégorie « minérale » comprend apparemment les arômes qui s’apparentent aux odeurs du sol et du sous-sol. Personnellement, j’ai tendance à classer les odeurs d’huile, d’essence et de pétrole dans la catégorie « chimique »… Peut-être ai-je tort?

Pierre Casamayor, dans son livre L’école de la dégustation (Hachette, 1998) souligne lui aussi le caractère minéral de certains vins blancs. Ainsi, la minéralité apparaît comme un qualificatif réservé aux vins blancs. Casamoyar identifie les arômes minéraux comme étant la pierre à fusil, le naphte et la mine de crayon et il les associe aux cépages Sauvignon et Riesling. Par ailleurs, il situe le souffre dans les arômes chimique.

Dans le glossaire de son Histoire culturelle et sociale du vin (Bordas, 1995), Gilbert Carrier ne mentionne pas la minéralité mais indique au sujet de la pierre à fusil : « Cette odeur minérale évoque le silex chauffé ou la poudre brûlée… Elle semble liée à une composition du sol où domine l’argile et le silex ». Dans le même ordre d’idée, Alexis Lichine dans son Encyclopédie des vins et des alcools (Robert Laffont, 1980) ne parle pas lui non plus de minéralité, mais présente la pierre à fusil : « Goût particulier de certains vins blancs provenant des vignes cultivés sur un sous-sol crayeux. Le Chablis est le principal exemple des vins qui ont le goût de pierre à fusil ».

De leurs côté, les italiens ne s’embêtent pas avec ces questions. Dans le Dizionario Veronelli dei termini del vino (Veronelli Editore, 2001) il n’a aucune mention de la mineralità ou même d’arômes de pietra di fucile.

En résumé, la minéralité apparaît d’abord comme un arôme et non comme une sensation tactile du vin. Également, pour certains la minéralité est caractéristique de certains cépages, alors que pour d’autres elle provient plutôt du terroir. Enfin, l’arôme « minéral » semble  proche des arômes « chimiques ».

Maintenant que nous sommes informés, nous pouvons passer à la pratique. Si un Chablis est l’archétype du vin minéral et que nous désirons savoir à quoi ressemble un vin minéral, alors il faut boire un Chablis. Pour mon exercice, j’ai ainsi choisi un Chablis 2007 de la Maison Albert Bichot. Mais histoire de contraster ce vin, et surtout le fameux terroir chablisien, j’ai également dégusté un Chardonay Wild Ferment Casablanca 2007 de la maison Errazuriz du Chili.

À l’œil, les deux vins sont de couleur jaune pâle assez clair. Les nez du Chablis est ouvert et marqué par des parfums de pommes vertes et de subtiles notes de pétrole ou de boite d’allumettes. Nous y voici donc déjà, à la fameuse minéralité. Mais elle est subtile. Or, on parle toujours de notes minérales et jamais d’un nez minéral expressif. La minéralité serait-elle une caractéristique subtile du vin? Le nez de l’Errazuriz est expressif et caractérisé par des parfums de fruits tropicaux, tel l’ananas. Je ne détecte aucune minéralité au nez

En bouche, l’attaque du Chablis est franche et marquée par une bonne fraîcheur. On dénote de légers arômes de pommes sûres et un goût difficilement définissable. En fait, c’est comme si le fruit est présent en bouche, mais de façon moins marquée qu’au nez. À nouveau, c’est subtil et par conséquent difficilement définissable. Ce doit être ça la minéralité. De son côté, le Errazuriz est ample en bouche. L’acidité paraît d’abord faible comparativement au Chablis, mais elle est présente et confère suffisamment d’équilibre au vin. Les arômes sont ouverts et fruités, avec des notes briochés et une finale boisée. Ce vin est ni subtil, ni minéral.

À partir des auteurs cités précédemment et de mon exercice de dégustation, on peut d’abord définir la minéralité comme étant des arômes ou des parfums du vin et non une sensation tactile. Ceci dit, il s’agit d’arômes subtils. Par subtils, je ne signifie pas qu’ils ne soient pas expressifs. J’entends plutôt des arômes dont la spécificité n’est pas clairement marquée. Parfois, la spécificité de certains arômes est clairement identifiable, tel le poivron. À d’autres moments, on se retrouve devant des arômes qui sont véritablement entre deux, tel l’anis et la menthe.

Chez les auteurs cités précédemment, on observe que la démarcation entre les arômes chimiques et minérales n’est pas clairement définie. Dans ma dégustation du Chablis 2007 de Albert Bichot, j’ai relevé autant des notes de pétrole que d’allumette, donc de souffre, avec en bouche un fruité très très léger. Je me suis ainsi retrouvé devant une zone grise entre des arômes subtiles que j’aurais tendance à vouloir qualifier de minérale.

Apprendre à déguster le vin, c’est apprendre à développer son goût et apprendre à son odorat à reconnaître des subtilités sensorielles. C'est aussi apprendre à transposer les sensations que le vin nous procure et à la communiquer à laide d'un vocabulaire précisQuoiqu’en disent certains, le vocabulaire du vin n’a rien de facétieux, ce que le questionnement sur la minéralité du vins laisse sous-entendre. Il consiste en une convention de termes variés permettant d’exprimer avec précision toutes les gammes de sensations que nous procure le vin.

Ceci dit, les arômes du vin sont des impressions générales. Quand est-ce que le vin a réellement des arômes de fraise, de laurier ou de cuir? Les arômes qu’on perçoit sont toujours des impressions qui se rapprochent d’une chose ou d’une autre. Il en va ainsi avec la minéralité. Puisqu’on utilise le vocable du vin pour communiquer et échanger nos impressions, on peut reconnaître à peu près ce qu’on voudra. L’important est alors de définir le plus précisément possible l’impression auquel un vocable spécifique fait référence. Par conséquent, pour ma part, je définirai la minéralité du vin comme étant l’impression que nous donnent les arômes subtiles qui se situent à mi-chemin entre les arômes faibles de fruits et les arômes chimiques. Voici ma définition de la minéralité.

 

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