Château Bellevue La Forêt

À l’occasion de son passage à Montréal, j’ai eu l’occasion de rencontrer Diane Germain, directrice commerciale et fille de Patrick Germain, fondateur du Château Bellevue La Forêt. Ce domaine vinicole est située à Fronton, dans l’Appellation d’origine contrôlée du même nom.

 

 

Les vins du Château Bellevue La Forêt sont bien connus au Québec, entre autres leur rosé qui demeure une valeur sûre année après année. Diane Germain m’a expliqué le parcours de son père.

Le Château Bellevue La Forêt a été fondé en 1974 par Patrick Germain. Celui-ci provient d’une longue lignée familiale de vignerons. Ses ancêtres étaient viticulteurs en Bourgogne au début du 19e siècle. L’arrière-grand-père émigre en Algérie, alors une colonie française, où il poursuit l’activité viticole. Cette tradition s’est ensuite transmise sur quatre générations. C’est donc en Afrique du Nord, là où il est né, que Patrick Germain apprend le métier de viticulteur. Sa famille doit cependant quitter l’Algérie en 1963, suite à la Guerre d’Indépendance. Patrick se déplace alors au Maroc où il continue son activité viticole. Il se voit cependant à nouveau forcé de quitter le Maroc en 1973. Il s’installe alors en France.

L’histoire de la viticulture dans les colonies françaises d’Afrique du Nord demeure méconnue. Or, à la fin du 19e siècle, alors que les vignobles du Sud de la France sont ravagés par le phylloxera, le gouvernement français encourage la production de vin en Algérie. Le vignoble algérien se développe rapidement et passe de 20 000 hectares en 1870, à 100 000 hectares en 1890 et à 150 000 hectares en 1915. Cette production est d’abord accueillie avec soulagement sur le marché français, tandis que les vignobles anéantis par le phylloxera ne suffisent pas à la demande des consommateurs. Mais lorsque la production intérieure recommence à suffire à la demande, les vins algériens, bons marchés et de fort degré alcoolique, livrent concurrence aux vins de pays français et ce, jusqu’à l’indépendance de l’Algérie.

Après l’indépendance, beaucoup de producteurs s’installent dans le sud de la France et en Corse et poursuivent leurs activités viticoles. Ils apportent néanmoins avec eux une tradition de « pionniers ». En effet, peu d’entre eux s’installent dans les grandes régions viticoles. Ils s’installent plutôt dans les régions du Midi, où le climat méditerranéen s’apparente davantage à leur expérience de la vigne et où ils ont davantage de liberté pour créer ce qu’ils veulent. Certains de ces producteurs arrivent en effet avec une vision plus « moderne » de la viticulture et de la production de vin.

C’est dans cet état d’esprit que Patrick Germain, plutôt que d’acheter un vignoble et un domaine déjà existant dans une région viticole connue, acquiert en 1974 une grande propriété à Fronton et la transforme en vignoble. L’année suivante, soit en 1975, la région obtient l’AOC Côtes du Frontonnais (devenu AOC Fronton en 2005), ce qui favorise la production locale en conférant à la région une plus grande reconnaissance sur le marché. En 1976, Patrick Germain construit sa cave de vinification en suivant les conseils de l’éminent œnologue bordelais Émile Peynaud. Cette collaboration illustre la motivation de Patrick Germain dès ses débuts à Fronton à se doter d’un domaine intégrant les méthodes de vinification les plus modernes.

S’il adopte les méthodes de vinification les plus avancées de la tradition bordelaise, Patrick Germain inscrit néanmoins sa production dans la tradition locale par l’adoption du cépage spécifique à la région : la Négrette. Ce cépage proviendrait de Chypre d’où il aurait été rapporté à l’époque des Croisades par les Chevaliers de l’Ordre Saint-Jean de Jérusalem. Le cépage a ensuite été implanté dans la région où il s’est particulièrement bien adapté au climat chaud et sec. On le retrouve de façon très marginale ailleurs en France, si bien qu’aujourd’hui ce cépage confère aux vins de l’AOC Fronton une spécificité unique.

La Négrette permet de produire des vins aux parfums spécifiques de fruits rouges, de réglisse et de poivre avec un petit côté floral rappelant la violette. Ce cépage a cependant tendance à s’oxyder rapidement, alors il est normalement agencé à d’autres cépages. Cependant, il entre toujours dans une proportion de 50 à 70% dans la composition des vins de l’AOC Fronton, tandis que la proportion de chacun des autres cépages est limitée à 25%. Aujourd’hui, le Château Bellevue La Forêt s’étend sur 112 hectares, dont 59 ha sont plantés de Négrette, 17 ha de Cabernet-Franc, 16 ha de Syrah, 13 ha de Cabernet Sauvignon et 7 ha de Gamay.

Le Château Bellevue La Forêt produit un très bon rosé et un beau vin rouge. Ces vins sont disponibles au répertoire général de la SAQ. Mais pour expérimenter la spécificité du cépage Négrette, on peut également essayer leur cuvée Optimum. Il s’agit d’une tête de cuvée, c’est-à-dire d’un vin réalisé avec des raisins provenant des meilleures parcelles et vinifiés avec le plus grand soin. Par son caractère, la cuvée Optimum ressemble au Château Bellevue La Forêt rouge, mais avec davantage de structure et de richesses aromatiques.

Les vins de l’AOC Fronton sont à découvrir ou à redécouvrir, idéalement accompagnés de quelques spécialités gastronomiques du Sud-Ouest, tels le confit de canard, le cassoulet ou le gigot d’agneau à l’ail.

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