Dégustation de Château Mouton Rothschild

 

À l’occasion du passage à Montréal de Xavier de Eizaguirre, Directeur Général de Baron Philippe de Rothschild S.A., Vincent et moi avons eu la chance d’être invités à une dégustation de leur célèbre Château Mouton Rothschild 2005 ainsi que leurs vins de châteaux du même millésime. Cette dégustation était organisée au Club Mont-Royal par les Vins Philippe Dandurand.

 

Le Château Mouton Rothschild, situé à Pauillac, s’étend sur 84 hectares et l’encépagement est typique du Médoc : cabernet-sauvignon, cabernet-franc, merlot, petit verdot. La vinification se distingue des méthodes habituelles car le vin demeure en cuve après la fin de la fermentation.  Afin d’arriver à maturité, le vin doit vieillir plus longtemps en bouteille. 

L’histoire du Château Mouton Rothschild débute en 1853 lorsque le baron Nathaniel de Rothschild achète aux enchères le Château Brane Mouton à Pauillac. Il le renomme ensuite Château Mouton Rothschild et il est classé deuxième Cru Classé en 1855. Suite au décès de Nathaniel de Rothschild en 1870, la famille conserve le Château. À partir de 1922, le domaine est dirigé par Philippe de Rothschild. Dès 1923, il se consacre à temps plein au domaine et 1924 est le premier millésime mis en bouteille au château. À partir de 1973, le Mouton est classé premier Grand Cru par le Ministère de l’agriculture de France, il s’agit de la seule révision jamais réalisée au classement de 1855. À cette occasion, la devise du domaine « Premier ne puis, second ne daigne, Mouton suis » est modifiée pour  «Premier je suis, second je fus, Mouton ne change. » En 1993, le domaine lance son deuxième vin : « Le Petit Mouton de Mouton Rothschild ». 

La dégustation du Château Mouton Rothschild 2005 coïncidait à un jour près de mon 40e anniversaire de naissance, une excellente occasion pour déguster un grand cru classé de Bordeaux ! C’était également l’occasion de partager cette merveilleuse expérience avec mon frère Vincent avec qui je travaille sur le site Sommelier Virtuel. Il s’agissait pour nous d’une grande récompense car notre objectif premier avec le site était de passer du bon temps ensemble en plus de partager de bonnes bouteilles de vin. Mission accomplie après 10 mois en ligne ! 

Le Club Mont-Royal est situé dans un édifice de 1905 sur la rue Sherbrooke Ouest, qui est l’œuvre de Stanford White, de la célèbre firme new-yorkaise McKim, Mead et White. On lui doit également le siège social de la Banque de Montréal en face de la place d’Armes.

 

Lorsque l’on pénètre dans cet édifice historique, ce qui frappe le plus est l’ameublement ainsi que la décoration qui sont d’époque. On a l’impression de faire un voyage dans le temps. Le détail qui a le plus attiré notre attention est sans contredit la tête de bélier empaillée surmontée d’une couronne métallique, le tout protégé par un boîte de verre. Drôle de coïncidence car l’emblème du Château Mouton est le bélier d’Augsbourg. Au dessus du museau, un insigne de métal gravé indique Club Mont-Royal. À première vue un objet rituel ou une mascotte, cette étrange tête empaillée était à notre avis une boîte à tabac pour les fumeurs de pipe du club et dont la couronne était le couvercle. Après plusieurs recherches sur Internet, nous n’avons trouvé aucune information sur cette étrange tête de bélier. Autre détail intéressant, un immense pèse-personne avec poids coulissants dans les toilettes, expliquerait peut-être que le Club était un ancien club sportif.  

Peu après notre arrivée, nos hôtes des vins Philippe Dandurand nous accueillirent dans une grande salle à manger qui auraient pu être celle d’une famille bourgeoise des années 20. Les verres à dégustation, déjà remplis,  étaient disposés sur de grandes tables rondes. Autour de nous, la majorité des invités étaient des journalistes de la presse écrite ou des critiques de vins dont Michel Phaneuf. Nous représentions une nouvelle génération, un nouveau média. 

Les vins à déguster étaient disposés en deux demi cercles de six, la deuxième rangée étant les vins de châteaux avec à l’extrême droite le fameux Château Mouton 2005. Pendant la dégustation, le silence régnait dans la salle, peut-être à cause de l’ambiance distinguée du Club Mont-Royal mais plus probablement par le sérieux qu’impose la dégustation d’un grand cru classé.

Dans la première série de vins, j’ai particulièrement apprécié le Mouton Cadet Réserve Médoc 2006 et l’Escudo Rojo Rothschild Maipo 2007. Le premier est un Bordeaux très classique, avec un nez de fruits noirs, légèrement boisé. En bouche, il possède de bons tannins, il est assez léger mais bien équilibré. L’Escudo Rojo est un vin du Chili mais par son équilibre, on peut facilement deviner les origines bordelaises de son producteur. Le nez est légèrement animal, mélange de fruits mûrs et de cuir, pas très boisé. En bouche, beaucoup de fruit et des tannins fermes. Bien qu’il soit prêt à boire, il gagnerait à vieillir un peu en bouteille.  

Pour ce qui est de la deuxième série, les vins de châteaux, tous étaient exceptionnels. Il était évident qu’on passait à une catégorie supérieure. Le Petit Mouton ainsi que le Château Mouton sont ceux qui m’ont le plus impressionnés, pas nécessairement par leur puissance mais surtout par leur finesse, leur complexité et leur équilibre parfait. Tous les deux ont un superbe nez, mélange subtil d’arômes de mûres et de vanille. En bouche les tannins sont soyeux, l’équilibre parfait et la finale d’une persistance impressionnante. Le Château Mouton dépasse légèrement sont petit frère en finesse. Beaucoup plus abordable que le premier vin, le Petit Mouton, qui n’est malheureusement pas disponible à la SAQ, permettrait aux amateurs de vivre un expérience qui se rapproche d’assez près de la dégustation du célèbre Château Mouton Rothschild. Ce qui m’a le plus surpris dans la dégustation de ce grand cru, c’est la souplesse des tannins, malgré qu’il s’agisse d’un vin de très longue garde et d’un millésime assez jeune. Après un passage en carafe, il était parfait !

Suite à cette dégustation mémorable, les invités furent conviés à un repas gastronomique en compagnie de M. Xavier de Eizaguirre. Nous avions l’honneur de partager une table avec M. de Eizaguirre, Michel Phaneuf et sa collaboratrice Nadia Fournier (aucun lieu de parenté avec nous). Autre grande surprise à la fin de repas, on nous a servi un Château Mouton Rothschild 1995. Tout aussi sublime que le 2005 dégusté plus tôt, ce vin nous a démontré tout le potentiel de garde d’un grand cru comme le Château Mouton. Voici un résumé des anecdotes qui ont retenues mon attention et ma curiosité :   

Surf à Biarritz

M. Xavier de Eizaguirre est originaire du Pays Basque, plus précisément de San Sebastian en Espagne. Quand je lui ai mentionné que j’avais bien aimé la plage de San Sebastian mais aussi me baigner dans les vagues de Biarritz, du côté français du Pays Basque, il nous a raconté que le surf avait commencé à Biarritz lors du tournage d’un film américain. Pendant les poses de tournage, certains membres de la production sortaient leur planche de surf ! M. de Eizaguirre a lui-même pratiqué le surf à Biarritz dans sa jeunesse. 

 

Opus One 

À titre de Directeur Général de Baron Philippe de Rothschild, M. de Eizaguirre a souvent visité le célèbre domaine Opus One en Californie. Opus One est un «Joint Venture» entre Robert Mondavi et le baron Philippe de Rothschild créé en 1980. M. de Eizaguirre nous a expliqué que les gens du  domaine Rothschild avaient fait profiter les Californiens de leur savoir faire, notamment l’orientation des vignes à Napa selon les méthodes bordelaises. « Mais qu’avez vous appris des Californiens ?», lui a demandé Vincent. Les Californiens ont surtout appris aux Français le marketing. Contrairement à un vin de château, l’Opus One est un pur produit de marketing. Les Californiens étaient également maîtres des techniques de vinification industrielles. Sur une note plus triste, M. de Eizaguirre nous a raconté que Robert Mondavi ne s’était jamais remis de la vente de son vignoble, ce qui a même affecté sa santé. Le 22 décembre 2004, le vignoble Mondavi fut vendu au groupe de vins et spiritueux Constellation Brands pour la somme de 1.36 milliard de dollars US. Quatre ans plus tard, Robert Mondavi est décédé à l’âge de 94 ans.

 

1945, le grand millésime de la libération 

M. de Eizaguirre nous a raconté l’histoire du millésime de la libération, soit le 1945. Alors que tous les hommes étaient partis à la guerre, les femmes ont continué tant bien que mal à s’occuper des vignobles.  Le printemps et l’été 1945 ont été chauds et ensoleillés, permettant des  vendanges précoces. Le millésime d’après guerre demeure un des grands millésimes à Bordeaux et les crus de 1945 se vendent aux enchères à des prix astronomiques. Par exemple, une bouteille de 750 ml du Château Mouton Rothschild 1945 se vend $11880 à la SAQ. Un jour, lors d’une grande réception donnée par les Rothschild, le vin à déguster au repas n’avait pas été annoncé. À la grande surprise de tous les invités, la baronne Philippine de Rothschild servit du Château Mouton Rothschild 1945 ! 

1978, étiquettes dessinées par le peintre québécois Jean-Paul Riopelle 

Depuis 1945, l’étiquette du Château Mouton Rothschild est différente chaque année, et souvent illustrée par un peintre célèbre (entre autres Chagall, Miro, Picasso…). Pour le millésime 1978, c’est le peintre québécois Jean-Paul Riopelle qui crée deux différentes étiquettes. La famille Rothschild ne pouvant faire un choix entre les deux étiquettes, la moitié de la production du millésime 1978 fut exceptionnellement embouteillée avec une étiquette et l’autre moitié avec la seconde. À l’occasion du lancement du Château Mouton Rothschild 1978, la Société des alcools du Québec présente en octobre 1981 au Musée d’art contemporain de Montréal une collection de toutes les étiquettes de Château Mouton Rothschild depuis 1945.

 

 

1993, Scandale en Californie. L’étiquette de Balthus représente une adolescente nue.

Lors du lancement du millésime 1993 aux Etats-Unis, l’étiquette créée par le peintre Balthus fait scandale car il représente une adolescente nue. Différents groupes pour la protection des droits des femmes, des filles violées ou victimes de pédophilie manifestent devant le vignoble Opus One à Napa Valley. Suite à ces manifestations, la baronne prend la décision de lancer une série limitée du millésime 1993 avec une étiquette sans dessin aux Etats-Unis. Tous les autres pays du monde conservent l’étiquette originale.

 

 

2008, crise boursière et financière mondiale

 

J’ai demandé à M. de Eizaguirre quel serait l’impact de la crise actuelle sur les ventes de vins, en particulier les produits haut de gamme tel le Château Mouton. Même s’il n’a pas encore senti les effets de la crise, il demeure prudent. Beaucoup de nouveaux riches qui consomment des grands crus classés sont issus des nouvelles économies telle la Russie. En cas de turbulences économiques, ces pays sont particulièrement vulnérables à son avis. 

Conclusion

Cette dégustation de Château Mouton Rothschild est une expérience dont je me rappellerai toute ma vie. À moins d’être très riche ou bien d’être un maniaque de vins, pensez-y deux fois avant de débourser plus de $500 pour une bouteille de vin. Cependant, si l’occasion de déguster un Château Mouton se présente dans votre vie, ne passez surtout pas à côté de cette opportunité!

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