Domaine Henry Marionnet

Nous avons eu l’occasion de rencontrer Henry Marionnet, producteur de vin et propriétaire de la Maison Henry Marionnet. Ce domaine de 60 hectares est situé en Touraine, soit dans le centre-est de la Loire. Un seul des vins de la Maison Henry Marionnet est disponible au Québec dans les succursales de la SAQ, le Domaine de la Charmoise, un vin rouge de Gamay très agréable qui ressemble aux vins des crus du Beaujolais. Nous avons cependant eu l’occasion de déguster d’autres vins de ce domaine et il est dommage qu’ils ne soient pas disponibles à la SAQ. Pour les déguster, il faut contacter les gens de chez Altovin afin de se les procurer directement ou pour savoir chez quels restaurateurs les déguster.

 

 

 

D’abord, notons le très bon Première Vendange 2007 à la robe grenat, au nez fruité agréable caractéristique du cépage Gamay, offrant une belle matière en bouche, des tanins présents mais soyeux et une bonne longueur fruité. Or, le caractère intéressant de ce vin est qu’il est produit de manière entièrement naturelle, c’est-à-dire sans adjonction de levures (pour démarrer la fermentation et apporter des arômes spécifiques au vin), de souffre (pour contrôler la fermentation et favoriser la conservation) ou de chaptalisation (pour accroître la teneur en alcool). Il s’agit ainsi d’un vin naturel. Il est dommage que ce vin ne soit pas disponible à la SAQ, entre autres pour les gens sensibles aux sulfites (soufre).

Ensuite, nous avons dégusté Les Cépages Oubliés 2007, un vin produit à partir du Gamay de Bouze, un ancien cépage traditionnel que les gens ne cultivent plus beaucoup. Le vin est de couleur grenat profond, avec un nez fruité aux parfums de prunes, une belle matière en bouche, des tanins bien sentis et des arômes végétal, ce qui n’est pas caractéristique du Gamay qu’on connaît. Ce vin m’a beaucoup plu (8/10).

Enfin, nous avons eu droit au Vinifera Gamay 2007 et au Vinifera Côt 2007. Cette fois-ci, la spécificité de ces vins est qu’ils sont produits à partir de vignes non-greffées. Il est en effet toujours surprenant pour une personne qui commence à s’intéresser aux vins d’apprendre que les vins européens sont produits à partir de pieds de vignes américains. La crise du phylloxera qui a dévasté les vignobles européens à la fin du 19e siècle fut causée par une mouche qui, à l’étape larvaire, se nourrit en parasitant les racines de la vigne.

Cet insecte nuisible a été introduit en Europe en provenance des États-Unis, alors que des botanistes rapportèrent en Europe des vignes américaines. Or, les racines des vignes américaines résistent à ce parasite, alors que les vignes européennes n’ont jamais développé de résistances naturelles et meurent suite aux attaques des larves. Après différentes tentatives, la solution la plus efficace pour replanter les vignobles européens fut d’utiliser des porte-greffes américains. Il s’agit de faire une bouture de la vigne européenne qu’on désire cultiver sur un pied de vigne américain dont les racines résistent au parasite.

Il est donc inexact de dire que le vin européen est produit à partir de vignes américaines. Ces vignes n’ont d’américaines que les racines. Mais il est  vrai que les vignes d’aujourd’hui ne sont plus exactement les mêmes que celles des siècles passés. Ceci a transformé la façon de cultiver la vigne. Les vignes ainsi greffées vivent moins longtemps que les vignes ayant leurs propres racines. Et la grande question que les spécialistes se posent : les raisins et le vin produits sont-ils différents? Ou pire encore : sont-ils de moins bonne qualité?

Ainsi, depuis 1992, Henry Marionnet a replanté des vignes de Gamay sans utiliser de porte-greffes. Ceci n’est pas difficile en soi. Il suffit d’enterrer un sarment de vigne pour que les racines se développent (marcottage) et ensuite de replanter la marcotte où l’on veut. Cependant, les risques sont grands, car le phylloxera prolifère toujours en Europe. En cas d’infestation, son vignoble périrait rapidement. Nous avons ainsi eu l’occasion de déguster deux vins produits à partir de vignes non-greffées : un vin de Gamay et un vin de Côt, le nom donné en Touraine au cépage Malbec. Pour le Gamay, le vin est plus dense et plus tannique que le Gamay greffé, avec des arômes légèrement fumés. Une différence est observable entre le vin produit à partir de Gamay greffé et celui produit à partir de Gamay non-greffé. Je ne dirais pas cependant que l’un était meilleur que l’autre. Mais ils étaient différents, ce qui démontre que le porte-greffe modifie le style du cépage.

Le Vinifera Côt 2007 était vraiment particulier. De couleur violet profond, l’expression « vin noir » de Cahors, où on utilise le même cépage, prend tout son sens. Le nez présentait des parfums de fruits et d’herbe. Il offrait énormément de matière en bouche, beaucoup de tanins et des arômes de fruits noirs, de cerise et de violette et une bonne longueur. C’était une façon assez originale de clore cette dégustation.

Pour ceux que l’expérience intéresse, notons que la majorité des vins du Chili sont produits à partir de vignes non-greffées, car le Chili a été jusqu’à ce jour, en raison de son isolement, épargné par le phylloxera. Une question qui est ressortie lors de cette dégustation était justement de savoir si le caractère végétal spécifique des vins du Chili provient du terroir ou du fait que les vignes sont non-greffées. Ceci dit, pour produire du vin sans soufre et des vignes non-greffées, Henry Marionnet aime de toute évidence vivre dangereusement, avec le risque de perdre le contenu d’une cuve de fermentation une année et de voir une partie de son vignoble dévasté l’année suivante. Quoiqu’il en soit, ça nous donne en tant qu’amateur l’occasion de déguster des produits originaux et bien faits.

 

Menu