Denis Dubourdieu en Bourgogne

Pour la quatorzième édition des Vendredis du vin, le thème proposé par Rémy, président du mois, est : « Tu sors d’où, toi? » Permettez-moi alors de vous parler d’une figure illustre du milieu vinicole que j’ai eu la chance de rencontrer cette semaine : le professeur Denis Dubourdieu. Celui-ci est propriétaire de différents domaines à Bordeaux, professeur à la Faculté d’oenologie et directeur du Laboratoire d’oenologie générale de l’Université Victor Ségalen à Bordeaux et directeur scientifique de l’Institut sciences de la vigne et du vin à Bordeaux. Bref, Dubourdieu enseigne, fait de la recherche et produit du vin à Bordeaux. Or j’ai eu le plaisir de le rencontrer à l’occasion de son passage à Montréal où il est venu présenter les vins qu’il produit? à Chablis en Bourgogne pour la Maison J. Moreau et Fils! Bien que ce ne soit pas exactement en ces termes, une personne de l’assistance lui a posé cette question : « Tu sors d’où, toi? ».

Monsieur Denis Dubourdieu est à la fois un scientifique et un praticien du vin. Il produit entre autre l’excellent Château Reynon, Premières-Côtes-de-Bordeaux, en rouge et en blanc. Il produit également à Barsac un merveilleux Sauternes Second Cru Classé en 1855 : Château Doisy-Daëne où, dans les grands millésimes, il produit la cuvée « l’Extravagant » d’une robe ambrée et aux arômes complexes de confiture d’abricot et de pistache. À ce même domaine, il produit aussi un vin blanc sec aux arômes expressifs de pêche et d’abricot.

Dans l’ensemble, les vins de Denis Dubourdieu se distinguent par une pureté et une complexité aromatique, ainsi que par une impression de sucré en bouche, mais sans sucre résiduel et sans lourdeur. Reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes de la vinification et de l’élevage des vins blancs, c’est peut-être la raison pour laquelle les gens de J. Moreau et Fils ont décidé de se tourner vers les services de ce dernier. Néanmoins, on peut se demander si la présence en Bourgogne d’un Bordelais d’une telle renommée risque d’altérer la typicité du Chablis.

À cette question, Denis Dubourdieu répond d’abord que la typicité dépend autant des consommateurs que des producteurs : « Elle [la typicité] procède d’abord d’une représentation du vin par l’amateur. Évidemment, le goût est l’armature même de la typicité, à condition qu’il possède trois attributs essentiels : être aisément reconnaissable, apprécié des consommateurs actuels et localisable, c’est-à-dire caractéristique d’une origine géographique et d’un savoir-faire associé ». La typicité apparaît ainsi comme le résultat d’un dialogue entre producteurs et consommateurs. Pour cette raison, la typicité d’un vin est toujours contemporaine : « Les champagnes ou les grands bordeaux d’aujourd’hui diffèrent de ceux des époques antérieures ; ils n’en sont pas moins typiques. L’homme fait le vin de son temps, pour le goût de ses contemporains avec les connaissances et les moyens de son époque ».

Par ailleurs, pour Denis Dubourdieu, la typicité d’un vin s’exprime principalement au niveau de ses arômes qui doivent idéalement êtres complexes. Or, cette complexité va provenir du cépage et du terroir. Plus spécifiquement, les cépages expriment au maximum leur complexité lorsqu’ils arrivent à parfaite maturité au terme d’un cycle végétatif long : « Les vins typiques et de garde sont essentiellement obtenus par des variétés cultivées à leur limite septentrionale dans l’hémisphère nord (ou méridionale dans l’hémisphère sud). C’est le cas de « nos » cépages à Bordeaux, de la Syrah à Tain l’Hermitage et du Chardonnay à Chablis ». Ce sont les mêmes conditions qui produisent des vins ayant un potentiel de vieillissement.

De ce point de vue, le travail de Denis Dubourdieu chez J. Moreau et Fils à Chablis s’est concrétisé à travers une approche plus rigoureuse des procédés de vinification afin d’améliorer la régularité des vins quant à leur potentiel de vieillissement : « Dégustant l’ensemble de sa gamme Chablis sur plusieurs millésime, j’ai été frappé par une certaine irrégularité dans l’évolution des vins ». En regard à cette philosophie, Denis Dubourdieu apporte ainsi principalement un savoir-faire scientifique et technique. Par ailleurs, le « style » des vins J. Moreau et Fils demeure sous la supervision de Pascale Brès, directrice de la maison, en collaboration avec un comité de dégustation.

Parlons-en d’ailleurs des vins. Après la présentation du Professeur Dubourdieu et celle de Lucie Depuydt de la maison J. Moreau et Fils sur les composantes du terroir chablisien (climat, terrain et cépage) nous avons eu droit à sept vins, dont quelques-uns dans des millésimes différents. Parmi mes préférés, notons :

  • Un excellent Chablis Moreau d’entrée de gamme 2006 aux arômes frais de pomélos et de noisette et offrant un très bel équilibre en bouche. Le 2007 se distinguait par un nez plus jeune, proche du raisin, et par des arômes de pomme verte et des notes minérales.
  • Le Chablis Réserve Croix Saint-Joseph 2006 semblait plus gras, mais sans excès, avec des arômes d’amandes. On retrouve ici peut-être une influence Duboudieu, soit une impression aromatique de sucré, mais sans sucre résiduel et sans lourdeur.
  • Le Chablis Premier Cru Les Vaillons 2006 se caractérisait par un nez floral rappelant le lilas blanc, plus dense en bouche, plus gustatif, avec une finale d’amande.
  • Le Chablis Premier Cru Vaucoupin 2006 se distinguait ensuite par un nez plus léger aux arômes de pêche avec des notes minérales. Plus vif en bouche, il était également plus puissant et offrait une bonne longueur.
  • Le Chablis Premier Cru Montamais 2006 présentait un nez expressif, frais et parfumé aux arômes citronnés. Il offrait en bouche beaucoup de corps et à nouveau cette impression sucrée sans sucre résiduel.
  • Enfin, un de mes préférés, bien que trop loin du style J. Moreau et Fils pour Pascal Brès en raison d’un boisé trop présent, le Chablis Grand Cru Le Clos 2006 présentait un nez puissant d’amande et de pain brioché, beaucoup de corps en bouche, effectivement boisé, avec des arômes riches rappelant l’ananas et la noix de coco et une belle longueur fruitée.

Pour conclure, j’estime que l’influence de Denis Dubourdieu est indéniable : on retrouve des vins droits, sans amertume, aux arômes complexes et expressifs. Ceci dit, les arômes sont sans contests ceux du Chardonay à Chablis : agrumes, citrons, noisettes, fleurs blanches et notes minérales. Ultimement, c’est à la maison de déterminer la « typicité » de ses vins et aux consommateurs de la reconnaître. Personnellement, je ne la connaissais pas particulièrement bien. Je suis donc reconnaissant à Denis Dubourdieu et à la maison J. Moreau et Fils de me l’avoir fait aussi agréablement connaître.

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